Tapuscrit de 6 pages in-4. Infimes corrections manuscrites au crayon et au stylo. Légères traces de trombone. Provenance : Archives Fernand Gregh. Taille : 27 x 21 cm. Ce beau texte, très clairvoyant, est écris dans la foulée de la publication de « Poésies d’Arthur Rimbaud » paru au Mercure de France en 1939 avec introduction et notes d’Henry de Bouillane de Lacoste. Extraits : (texte complet lisible en intégralité dans la galerie photos). La gloire d’Arthur Rimbaud, qui n’a pas cessé de monter depuis sa mort et en particulier depuis la guerre, en arrive au moment critique – je veux dire au moment où l’on va publier de son oeuvre des éditions critiques. Oui, il y a un snobisme sur Rimbaud, comme d’ailleurs sur tous les poètes maudits, en sorte qu’aujourd’hui les vrais poètes maudits sont les Leconte de Lisle et les Sully-Prudhomme, ceux qui ont eu leur gloire de leur vivant. La parole de l’Evangile: « Les derniers seront les premiers », se vérifie en littérature. Et c’est très bien ainsi: chacun son tour, à condition qu’on n’exagère rien. Or on a exagéré pour Rimbaud, quel que soit son génie natal et primordial. Gérard de Nerval, Verlaine, Villiers de l’Isle Adam, les autres poètes maudits ont leurs admirateurs, lui a des fanatiques. Après la guerre, toute la jeune poésie a été rimbaldienne et s’est intoxiquée de ses notations à la fois sublimes et délétères que sont Les Illuminations, et Une Saison en Enfer. On a imité la manière elliptique de Rimbaud, sans pouvoir imiter ni son génie, ni ce désordre, ce désorbitement, ce dérèglement de tous les sens et où il avait cherché et parfois trouvé un renouvellement du monde poétique. On a fait de la voyance à froid. On en fait encore. Oui, de cette nouvelle lecture des vers de Rimbaud, je sors plus certain que jamais de son génie. Mais, plus que jamais aussi, je sors de cette lecture désespéré d’avoir assisté presque tout de suite, après l’éclosion, l’explosion plutôt, de cette merveille, le Bateau ivre, au rapide effondrement intellectuel, parce que moral, de ce sublime voyou. Voyou, il n’y a pas d’autre mot. Dès son arrivée à Paris, se conduit comme le « sale gosse »; une espèce d’instinct satanique le met en bataille non seulement contre les bêtises et les lâchetés qui entourent chacun de nous, mais même contre ce qu’il peut y avoir de bon normalement chez ses contemporains, même chez ceux qui lui font le plus amical accueil; il fatigue Banville, dégoûte Mme de Banville, manque de tuer je ne sais plus qui à la fin d’un banquet, et on sait ce qu’il a fait de Verlaine. Tout cela par une sorte de non-conformisme orgueilleux, exaspéré, hystérique. Et à partir de ce moment, sa vie désaxée, roulant de vice en vice, de ville en ville, comme de vague en vague son Bateau ivre, sa vie ne lui laisse plus que des moments exacerbés de sensibilité où il jette ces éclats aigus de génie, les Illuminations, la Saison en Enfer, mais sans jamais en composer ce faisceau lumineux, fort et plein, qui des hommes fait des phares.
